Lamentation sur le corps du Christ (Compianto sul Christo morto) de Niccolò dell’Arca n’est pas La Joconde… L’œuvre ne figure pas sur le parcours des autocaristes japonais, ni même dans le guide du Routard. Son auteur, un sculpteur italien de la deuxième moitié du XVe siècle, n’est connu que par les spécialistes et l’église de Santa Maria della Vita à Bologne (Italie) dans laquelle l’oeuvre est exposée est une banale église baroque sans grand intérêt…. Cependant, si vous allez à Bologne, entrez dans l’église et glissez vous jusqu’à la chapelle qui se trouve à droite du chœur. Vous ne serez pas déçu… et pourrez admirer l’œuvre dans le plus grand recueillement, sans être importuné par les flots de touristes qui envahissent la Piazza Maggiore toute proche!
Cette œuvre extraordinaire est un ensemble de sept figures grandeur nature en terre cuite. Au centre, le Christ mort, les yeux clos et la bouche entrouverte repose sur un matelas, les mains croisées sur le perizonium (linge qu’il porte autour de la taille). Sa tête porte encore la couronne d’épines et ses pieds, ses mains et son flanc portent les stigmates de la Passion. Autour du corps inanimé, sont regroupées les six personnages qui assistèrent à la mise au tombeau du Christ, figurant en crescendo l’expression d’une douleur effroyable.
Joseph d’Arimathie est celui dont la douleur est la moins visible. Son beau visage barbu n’exprime aucune émotion. Contrairement aux autres personnages vêtus de toges antiques, il est habillé comme un homme du XVe siècle. Un peu à part, celui-ci est peut-être le portrait du commanditaire et donateur de l’œuvre.
Saint Jean l’Evangéliste représente la douleur contenue. Avec sa main gauche, il enroule son manteau autour de lui dans un geste de protection et de réconfort. Sa main droite posée sous son menton, il regarde le corps du Christ. Son visage est marqué par un rictus de douleur et une infinie tristesse.
La douleur de Marie Salomé s’exprime surtout par la position de son corps. Un genou à terre, les mains crispées sur les cuisses, accablée de douleur, elle semble s’enfoncer dans le sol. Sa bouche ouverte laisse s’échapper un cri d’effroi.
La Vierge debout exprime une souffrance plus grande encore. Les mains jointes, les yeux clos, sa bouche grande ouverte laisse échapper un hurlement de douleur.
Mais les deux personnages qui expriment le summum de la souffrance sont sans aucun doute Marie Cléophas et Marie-Madeleine. Leur souffrance est dramatique, théâtrale, presque hystérique. Le corps arqué en arrière de la Marie Cléophas et le geste expressif de ses mains semblent vouloir repousser loin d’elle la vision du corps du Christ. Dans ce mouvement d’effroi, le voile qui couvre ses cheveux s’envole en tourbillonnant. Marie-Madeleine au contraire se jette en avant vers le Christ laissant voler derrière elle sa robe et son voile, le visage déformé par la douleur.
Le sculpteur exprime merveilleusement la douleur contenue des hommes tenus à un devoir de modération, comme la douleur effrénée et démonstrative des femmes orientales. L’expressionnisme exacerbé de cet ensemble n’a pas d’équivalent dans la sculpture italienne du XVe siècle. Cette œuvre atypique et puissante semble vouloir rivaliser avec les meilleures sculptures baroques réalisées presque 150 ans plus tard par le grand Bernin.