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Paul Cézanne, Pommes et biscuits, Paris, musée de l'Orangerie, vers 1880

Paul Cézanne, Pommes et biscuits, Paris, musée de l’Orangerie, vers 1880

« Mangez des pommes » disait la marionnette de Jacques Chirac en 1995. Les Guignols de l’Info lui avaient attribué ce tic verbal uniquement parce Jacques Chirac avait choisi d’illustrer la couverture de son livre, La France pour tous, avec un pommier. Interrogé par Alain Duhamel sur le plateau du journal télévisé, il avait justifié ce choix en disant « J‘aime beaucoup les pommes, je suis un mangeur de pommes et puis j’ai trouvé que c’était joli… »

Qu’aurait dit Paul Cézanne si on l’avait interrogé sur sa passion pour les pommes ? Avec la montagne sainte Victoire, la pomme est en effet l’autre obsession picturale du peintre. Je n’ai pas compté le nombre de ses tableaux où figuraient des pommes (son catalogue raisonné comporte plus de 1000 œuvres peintes…) mais on sait qu’il à peint environ 200 natures mortes (20% de son œuvre, quand même !) et la majorité figurent des pommes… Mais pourquoi diable Cézanne aimait-il autant les pommes ?

Cézanne vouait une grande admiration à Chardin, le maître de la nature morte au XVIIIe siècle. Il passa de longues heures à contempler ses toiles au musée du Louvre. Puis, sur le modèle de son illustre prédécesseur, il décida de redonner ses lettres de noblesse à ce genre pictural totalement délaissé au XIXe siècle. Parmi toutes les natures mortes peintes par Cézanne, ce Pommes et biscuits, est sans doute celle où l’artiste reprend le plus littéralement la leçon de Chardin. D’abord avec ce bleu, le fameux « bleu de Chardin », très présent dans cette toile avec le papier peint fleuri à l’arrière-plan ou l’assiette à droite. Mais surtout au travers de la magnifique esthétique épurée adoptée par Cézanne. Sa composition est d’une grande rigueur : trois bandes horizontales de largeur à peu près égales : le devant d’un coffre, le mur du fond, et, entre les deux, le couvercle. Quelques détails viennent pourtant rompre l’austérité de la composition : une pomme qui dépasse sur l’horizon du couvercle, l’assiette de biscuits qui s’échappe du cadre à droite, l’ombre oblique du loquet fermant la coffre et enfin l’étrange silhouette de fleurs, esquissée sur le devant du coffre.

Ce qui intéresse Cézanne dans la nature morte, ce n’est pas de représenter de façon illusionniste le reflet de la lumière sur le verre d’une carafe ou la douceur du duvet d’un abricot comme le faisaient les peintres hollandais du XVIIe siècle mais la composition, le rythme de l’ensemble. Il concentre son intérêt sur l’agencement des objets, le traitement de l’espace. Ainsi pour Cézanne, l’important n’est pas tant les objets eux-mêmes que la façon qu’il a de disposer des coloris et des formes sur la toile. Et voilà pourquoi il peint souvent des pommes… Ce fruit à la forme simple et ronde, on dirait presque « tout bête » sait se faire oublier pour mieux mettre en valeur les formes et les harmonies de couleurs. Cézanne en lutte contre l’abstraction qu’il a toujours refusé est à la recherche d’objets aux formes les plus simples et pures et la pomme est la meilleure candidate qu’il ait trouvée. Elle répond en tout point à sa description de son art : « Tout dans la nature se modèle selon la sphère, le cône et le cylindre. Il faut apprendre à peindre des figures simples, on pourra ensuite faire ce qu’on voudra. »

Pour être tout à fait exhaustive, il faut ajouter à cette explication rationnelle et artistique, une explication plus sentimentale et poétique, au recours incessant de Cézanne au motif de la pomme. Ce fruit évoque pour le peintre sa grande amitié avec Emile Zola, futur écrivain et journaliste. Zola débarqua à l’âge de 13 ans dans le collège d’Aix-en-Provence où était scolarisé Cézanne. Chétif, doté d’un accent parisien prononcé, renfermé et plutôt brillant en classe, Zola devint très vite le souffre-douleur des autres élèves. Un jour, Cézanne doté d’un physique solide et d’un fort caractère, décida de briser l’omerta dont Zola était victime et de lui adresser la parole dans la cour de récréation. Il fut roué de coup par les autres élèves furieux, mais reçu en échange l’amitié indéfectible de Zola qui le remercia le lendemain en lui offrant… des pommes.