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Bol-sein du service de la Laiterie de Rambouillet, Jean-Jacques Lagrenée, 1788, Sèvres, cité de la céramique

Bol-sein du service de la Laiterie de Rambouillet, Jean-Jacques Lagrenée, 1788, Sèvres, cité de la céramique

Louis XVI était, comme beaucoup de rois de France, un grand amateur de chasse. Il aimait tout particulièrement chasser en forêt de Rambouillet et demanda à son cousin, le duc de Penthièvre, de lui céder le château de Rambouillet pour disposer d’un « pied-à-terre ». Le problème est que Marie-Antoinette n’appréciait pas du tout le lieu qu’elle qualifiait de « gothique » (ce qui dans le langage de l’époque signifie « vieillot » ou « moyenâgeux »). Pour tenter de lui faire aimer le domaine, Louis XVI fit réaménager le parc dans le style anglais alors très à la mode et construire une laiterie à l’image de celle déjà construite en 1784 dans le hameau du Petit Trianon à Versailles., dont la reine appréciait le caractère champêtre et « pittoresque ».

Pour compléter cette surprise faite à son épouse, Louis XVI commanda pour la Laiterie de Rambouillet, un service en porcelaine de 65 pièces à la Manufacture de Sèvres. Parmi ces 65 pièces, figuraient 4 bols-seins ou jattes-tétons. La jatte-téton se compose d’un bol en forme de sein et d’un trépied indépendant, orné de tête de bouc, sur lequel repose le récipient. Cet incroyable objet devait être utilisé pour boire du lait, symbole de fécondité et surtout d’une vie simple et bucolique qui permettait à Marie-Antoinette d’oublier la sévère étiquette de la Cour.

Un bol moulé sur le sein royal ?

Un bol moulé sur le sein royal ?

L’ensemble des porcelaines de la Laiterie rivalisait d’audace par les formes : pots à têtes de chèvres, vases à anses étrusques, terrines à pieds de vaches… mais le bol en forme de sein obtient sans conteste la palme de l’originalité ! Voilà une idée bien grivoise et non dénuée d’humour qui étonne et fascine de la part du sage et réservé Louis XVI… Cela fit jaser et une légende vit aussitôt le jour : le galbe de le jatte-téton aurait été obtenu par moulage du sein royal ! Ceci relève bien entendu du fantasme et du dénigrement systématique dont fit l’objet le couple royal au moment de la Révolution. On imagine mal en effet la reine posant torse nu devant le céramiste de la Manufacture de Sèvres pour qu’il prenne l’empreinte de son sein…

Mastos corinthien à figures noires, vers 570-550 avant JC, Paris, musée du Louvre

Mastos corinthien à figures noires, vers 570-550 avant JC, Paris, musée du Louvre

La réalité est autre. La mode est à l’Antiquité et ce bol s’inspire de façon très érudite, d’une forme de vase grecque antique peu commune, le mastos. Ce type de vase en forme de sein était utilisé comme coupe à boire lors des symposiums.

Cet objet fut également utilisé pour reprocher à la Reine sa féminité et son goût pour le luxe. Pourtant, Marie-Antoinette n’est pas à l’origine de cette commande qui devait être une surprise. Elle n’a d’ailleurs sans doute jamais vu cet objet car il ne fut livré par la Manufacture de Sèvres qu’en 1788, à la veille de la Révolution. Or la dernière visite de la Reine à Rambouillet date du 20 juin 1786…

Coupe en forme de sein présumé de Pauline Borghèse, Jean-Baptiste-Claude Odiot, vers 1810, Paris, musée des arts décoratifs

Coupe en forme de sein présumé de Pauline Borghèse, Jean-Baptiste-Claude Odiot, vers 1810, Paris, musée des arts décoratifs

Après la mort de Marie-Antoinette, l’objet continua de fasciner. Au XIXe siècle, on en fit rééditer une variante en blanc et or pour suivre l’évolution du goût. Il inspira également le célèbre orfèvre de l’Empire, Jean-Baptiste-Claude Odiot qui créa vers 1810 une coupe en bronze doré en forme de sein (Paris, musée des arts décoratifs), qui aurait été réalisée d’après le sein de Pauline Borghèse, sœur de Napoléon, réputée pour sa frivolité. Poursuivant le même filon, en 2014, le mannequin britannique Kate Moss a accepté de prêter son sein gauche à un moulage qui a servi à la création d’une coupe de champagne en édition limitée….