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La salière en ivoire du musée du Quai Branly et les ivoirs afro-portugais

Jusqu’au XVe siècle, les Européens ne connaissent pratiquement rien de l’Afrique. Tout ce que l’on en savait alors venait de récits de voyageurs isolés. On s’en faisait une idée fantastique et surtout assez fantaisiste. A partir du XVe siècle, les Portugais à la recherche de la route des Indes accostent pour la première fois en Afrique dans la zone du Sierra Leone, du royaume du Benin, du Nigéria et des côtes du Congo. Ils créent des comptoirs commerciaux pour exporter l’or et l’ivoire et ramènent avec eux en Europe des objets d’artisanat. Ces objets incarnent les premiers contacts avec un monde inconnu et exotique et connaissent un franc succès auprès des collectionneurs. Ils enrichissent les cabinets de curiosité des princes européens. Ainsi, on trouve par exemple des objets d’artisanat africain dans l’inventaire de 1553 des collections Médicis.

Tel fut également le parcours de cette salière en ivoire, retrouvée dans un cabinet de curiosité belge et aujourd’hui conservé au musée du Quai Branly. Elle a été sculptée au XVIe siècle dans un atelier du royaume de Bénin, situé au sud-ouest de l’actuel Nigéria. De nombreux ateliers royaux travaillaient alors l’ivoire d’éléphant. Certains objets étaient destinés à l’élite locale d’autres, comme celui-ci, étaient fabriqués pour l’exportation et rapportés par les bateaux portugais.

On reconnaît ces derniers à leur iconographie inspirée du monde européen. Ainsi, la partie basse de cette salière figure quatre soldats portugais barbus. Deux d’entre eux sont représentés de face et tiennent une lance et une épée. Ils portent des vêtements caractéristiques des soldats de cette époque, un chapeau à plume et une croix portée en pendentif sur la poitrine. Les deux autres personnages sont coiffés d’un casque et tiennent un petit bouclier. Tous les détails sont sculptés avec une virtuosité et une précision époustouflantes, mettant en évidence l’habileté des artisans africains qui sculptaient l’ivoire.

Sur le couvercle, on reconnaît une caravelle portugaise avec une nacelle figurée au sommet du mât dans laquelle est installé un mousse. Un homme escalade les cordages pour lui tendre une longue vue. On retrouve ce motif de caravelle sur un ensemble de salières fabriquées à la même époque, ce qui a permis de les attribuer à un seul artiste (ou atelier) surnommé « maitre du bateau héraldique ».

Stylistiquement cette salière témoignage d’un métissage entre l’Afrique et l’Europe. Elle fait partie de ce que l’on nomme les « ivoires afro-portugais » ou « bini-portugais » (du nom du royaume de Bénin) qui sont l’objet de nombreuses convoitises des collectionneurs européens au XVIe siècle.