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Dans l’histoire de la peinture occidentale, le paysage a longtemps fait figure de parent pauvre. Alors que la peinture chinoise place le paysage (« montagne et eau ») au tout premier rang de ses sujets de prédilection depuis l’origine, celui-ci est presque totalement absent de la peinture occidentale jusqu’au XVe siècle. Les premiers paysages apparaissent dans les œuvres de peintres du Nord et en particulier les peintres flamands.

Février - Trés riches heures du duc de Berry

Frères Limbourg, Les Très Riches Heures du Duc de Berry, mois de février, 1413-1416 – Chantilly, musée Condé

Ainsi, dans le livre d’heures des « Très Riches heures du Duc de Berry », entre 1413 et 1416, les frères de Limbourg peignent un calendrier dans lequel chaque mois de l’année est illustré  par un château du duc de Berry placé dans un paysage avec, au premier plan, les travaux agricoles du moment ; ils sont attentifs à rendre les changements de lumière selon les mois. Le paysage apparaît aussi dans les enluminures et tableaux des frères Van Eyck.

Vierge au Chancelier Rollin - Van Eyck

Frères Limbourg, Les Très Riches Heures du Duc de Berry, mois de février, 1413-1416 – Chantilly, musée Condé

Dans La Vierge au Chancelier Rollin (1434-1435, Louvre), Jan Van Eyck représente la Vierge, l’Enfant et le Chancelier, placés dans une loggia qui s’ouvre, au centre du tableau, sur un magnifique paysage à la fois rural et urbain. Cependant, chez les frères Limbourg comme chez Jan Van Eyck, le paysage reste un élément secondaire agrémentant une scène principale figurée au premier plan.

Le premier peintre à faire du paysage le véritable sujet de son tableau est sans doute Joachim Patinir, un peintre flamand actif à Anvers de 1515 à 1524. Les tableaux de Patinir représentent un très petit nombre de thèmes religieux, toujours les mêmes (La fuite en Egypte, la tentation de saint Antoine, le baptême du Christ…) qui servent de prétexte à la description d’un vaste paysage panoramique. Les protagonistes de la scène religieuse sont souvent de toute petite taille, perdu dans un paysage immense éclairé par une lumière irréelle. La perspective aérienne est schématisée par la succession de trois plans colorés : bruns chauds au premier plan, verts lumineux au second plan et des perspectives lointaines bleutées. Ces étagements fuient vers un horizon relevé, placé très haut dans le ciel. Le paysage de Patinir n’est pas un paysage au sens moderne du terme, c’est-à-dire qu’il ne représente pas un paysage réel mais un paysage recomposé qui incite à la contemplation et à la méditation. Chaque commanditaire pouvait y trouver le message qui lui convient la mieux, soit religieux (le paysage est une réflexion sur la beauté de la création divine, à une époque où les théories franciscaines ont montré que l’amour de la nature ne détourne pas de Dieu mais qu’on peut au contraire aller vers lui à travers sa création), soit humaniste (une réflexion sur l’étendue et la diversité des paysages à une époque où l’on se passionne pour la découverte des terres lointaines). Ce message à multiples interprétations possibles  est sans doute ce qui explique le succès de Patinir. De son vivant déjà, il est célébré de tous pour ses magnifiques paysages et Dürer le surnomme même la « Landschaftmaster » (le Maitre du paysage »).

Triptyque de la Pénitence de Saint Jérôme - Patinir

Frères Limbourg, Les Très Riches Heures du Duc de Berry, mois de février, 1413-1416 – Chantilly, musée Condé

Les trois volets du triptyque La pénitence de saint Jérôme (vers 1518, NY, Metropolitan Musueum) représentent le Baptême du Christ, la Pénitence de saint Jérôme et la Tentation de saint Antoine mais le vrai sujet du tableau est le magnifique paysage qui se trouve en arrière plan dans lequel Patinir vous invite à voyager visuellement pour en découvrir les magnifiques détails, comme celui-ci :

Triptyque saint Jérôme - Patinir - détail